Salut sknob, est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ? Depuis combien de temps fais-tu de la musique ?
Bonjour. Je suis auteur-compositeur-interprète, dessinateur et traducteur franglophone, j’ai fait des détours par la création multimédia, et je fais de la musique depuis environ quarante ans !
Ton style musical est assez polyvalent, tu oscilles entre la chanson française sans tomber dans la soupe de variété, du rock et de l’électro voire du disco…
Alors tout d’abord, je déteste le disco ! J’ai la double nationalité franco-américaine, j’ai grandi en Angleterre puis en Belgique, ce qui explique peut-être mon éclectisme. J’ai été bercé par le delta blues, les chansons de Sesame Street, les Beatles, Purcell, et la chanson française, de Brassens à Plastic Bertrand. Puis j’ai eu la chance de me trouver à Bruxelles au début des années 80 quand je me suis mis à la musique. C’était un carrefour musical particulièrement riche et stimulant à l’époque. Et les gens que je côtoyais étaient tous transgenres si j’ose dire. Les mêmes pouvaient jouer du punk, du jazz, du classique, des thés dansants, et mélanger toutes ces influences dans leurs compositions. Ça m’a donné une grande liberté de création. Encore aujourd’hui, je me laisse guider par la logique de ce que je crée au moment où je crée, sans me poser de questions sur ce qui est autorisé ou pas selon les canons de tel ou tel genre, et sans rien m’interdire, pas même la soupe, ni même le disco s’il le faut !
Tu es assez prolifique, tu as déjà sorti pas mal d’albums qu’on peut tous écouter en ligne sur ton site. C’est une revendication de rendre tes morceaux en écoute libre ?
Tout à fait. Quand j’étais jeune, j’empruntais des 33 tours au pif à la médiathèque et j’enregistrais ceux que j’aimais sur cassette, et ça m’a sacrément ouvert les oreilles. J’ai fait pareil sur les sites pirates quand le Web est arrivé, où je pouvais soudain publier mes morceaux et toucher un public planétaire ! J’ai eu un morceau numéro un pendant des semaines sur un site japonais. Et le jour où j’ai trouvé mes morceaux sur un site de bittorrent, j’étais ravi ! Quelle consécration ! Mais j’aime aussi les licences libres. Tu veux écouter mes trucs pour ton plaisir ou les utiliser pour une bonne cause ? Vas-y, sers-toi. Tu veux en inclure un dans ton blockbuster commercial ? À supposer que je sois d’accord, tu passes à la caisse.
Tu chantes en français et c’est un truc assez exceptionnel car en général la chanson engagée française a vite fait de tomber dans le ridicule, c’est quoi ton secret ?
Je chante en anglais et en français oui, selon l’inspiration et le sujet (j’ai la chance d’être bilingue de naissance). C’est vrai que je n’aime pas tellement les trucs militants trop rentre-dedans et premier degré, sans humour ou poésie au sens large, même si la chanson anglophone ne vole souvent pas beaucoup plus haut. Mais plus généralement, je trouve que souvent dans la chanson française, les mots sont mal posés sur la musique, avec des accents toniques artificiels sur les mauvais accents rythmiques. Ça me distrait et ça m’empêche de rentrer dans les morceaux.
Mon secret, si j’en ai un, c’est que j’écris d’abord les mots, puis j’écoute leur musique, et ils me suggèrent une mélodie souvent polyrythmique pour accommoder le français, ce qui produit un résultat où si tout se passe bien, il n’y a pas de bras de fer entre paroles et musique. Elles ont l’air faites l’une pour l’autre. Pour ce qui est du fond, j’essaie de faire passer mon idée ou mon sentiment ou mon message de manière un peu drôle ou absurde ou subtile si possible, histoire que tout ne soit pas couru d’avance et que l’écoute réserve quelques surprises et qu’on ne s’ennuie pas.
Alors engagé oui, bien à gauche c’est quelque chose qui apparaît des textes. Pour toi l’art doit être au service de la révolution ?
À mon avis, l’art ne doit rien du tout. L’artiste a un besoin viscéral de s’exprimer, il s’adresse à un public ou une personne réelle ou imaginaire, et n’a pas de contrôle sur comment son art sera apprécié, détesté, ignoré, instrumentalisé, détourné. En revanche, je pense que l’art a un potentiel subversif et émancipateur intrinsèque, car sous couvert de proposer quelque chose d’agréable ou d’émouvant ou de stimulant ou de dérangeant, il oblige la personne qui s’y ouvre à percevoir le monde à travers le regard ou le vécu subjectif de quelqu’un d’autre, et donc à sortir d’elle-même, ce qui peut représenter un danger pour la paix sociale.
Et puis l’artiste est par définition un être libre, au moment de créer du moins, ce qui en fait également un élément transgressif et donc potentiellement dangereux. C’est peut-être aussi pour ça qu’on les admire ou qu’on les jalouse souvent, alors qu’en fait, on est toutes et tous artistes à la naissance. Tous les enfants dessinent, chantent, inventent des histoires, des jeux, avant qu’on leur apprenne à rentrer dans le rang, à être sérieux, à cesser leurs enfantillages. Les artistes sont juste des enfants récalcitrants. Il ne faut pas les admirer, il faut les imiter !
Comment est-ce que tu écris tes textes et produis tes morceaux ? Tu es seul à tout faire derrière ?
Oui, je fais tout tout seul. Quand les premiers logiciels de MAO sont arrivés, je me suis précipité, parce que ça permettait de tout faire soi-même sans subir les ego parfois surdimensionnés de musiciens par ailleurs souvent paresseux (comme moi, je les comprends), et donc sans se brider créativement par égard pour eux. Et pour créer librement, il faut bannir son surmoi, ce qui est plus facile quand personne n’est là pour te juger quand tu pars dans ton délire. Donc j’écris d’abord les textes. Je fignole le premier jet pour éliminer tout ce qui me fait grincer un peu des dents à la lecture. Puis j’écris la musique, puis j’arrange et j’enregistre tout sur l’ordinateur, puis je mixe, ce qui est de loin la tâche la plus pénible.
Quelles sont tes inspirations musicales et d’écriture ?
Côté musique, j’aime les compositeurs qui arrivent à combiner humour, émotion, sophistication ou même complexité musicale, tout en étant accessibles en surface. Ça va donc d’Erik Satie à Kurt Weill à Carla Bley à Nino Rota à Frank Zappa aux Beatles, en passant par Aksak Maboul, Robert Wyatt, Danny Elfman, Albert Marcœur, The Residents, Snakefinger, Talking Heads, XTC, The B-52’s, The Lounge Lizards, Sparks, Philippe Katerine, Fiona Apple, The Divine Comedy, ou un peu plus récemment Aquaserge, Lemon Twigs, Deerhoof, King Gizzard… j’arrête et tu couperas si tu veux !…
En revanche pour les textes, je ne me suis jamais trop posé la question ! Côté francophone, je pourrais citer Brassens, mais en fait ce que j’adore chez lui, c’est surtout la musique (si, si). Alors, disons les premiers Gainsbourg, Boris Vian, mais aussi Gotainer. Mais je pense que les anglophones m’influencent tout autant sinon plus, même quand j’écris en français.
Tu joues aussi dans un duo, Les Bons Sauvages. Qu’est-ce que rajoute cette formation ?
En arrivant dans mon village du Piémont Cévenol, j’ai discuté avec un voisin musicien, qui est allé écouter mes chansons et qui m’a proposé de les jouer live. Je prends plus de plaisir à écrire qu’à jouer, je ne cherche pas spécialement la lumière et l’adulation des groupies, mais j’ai dit oui. 30 ans que je n’avais pas fait de scène ! On a fait une dizaine de concerts avant que le COVID ne vienne interrompre l’aventure.
Ça m’a obligé à réduire les morceaux à leur plus simple expression, à travailler le souffle et surtout la guitare, et pour la première fois de ma vie musicale, je suis capable de m’émanciper des prothèses informatiques, ce qui ouvre de nouvelles perspectives, et sera pratique si les collapsologues ont raison et qu’on n’aura bientôt plus d’électricité. En tout cas ça colle avec l’idée de frugalité choisie plutôt que subie.
Dans une industrie du disque de plus en plus difficile à pénétrer, comment distribues-tu tes albums ? Tu restes uniquement en format numérique ou on peut t’écouter en matériel ?
Je n’ai jamais essayé de sortir des disques physiques. J’ai vécu l’avènement du home studio et du Web, qui permettait soudain de court-circuiter les maisons de disques, et de produire et distribuer du son de qualité, sans se ruiner, et sans être contraint artistiquement par leurs critères de rentabilité, sachant qu’au final, elles ne te reversent que des miettes, si tu as vendu assez d’albums pour leur rembourser les frais d’enregistrement. J’ai donc préféré m’auto produire, et vivre de l’écriture autrement, en faisant de la traduction. Donc on peut trouver à peu près tout ce que je crée gratuitement sur mes sites perso, et on peut en acheter à prix libre sur Bandcamp. Avis aux amateurs.
En parlant de matériel, la situation actuelle n’est pas évidente pour les artistes qui ne peuvent plus se produire et donc vivre de leur travail…
C’est terrible pour tous les métiers de la scène, comme pour tous les autres métiers durement touchés. Mais en amont de tout ça, le problème, c’est la logique du tout marchand, à laquelle la culture n’échappe pas. Pour moi, la création, c’est fondamentalement un jeu, pas un travail, et sa valeur pour la société n’a rien à voir avec sa contribution au PIB. Et c’est compliqué de prétendre faire de l’art engagé ou contestataire quand on est une marchandise comme une autre, ou qu’on est financé par l’État ou par de généreux mécènes fortunés qui sont soi-disant des ennemis à abattre… Et puis je ne vois pas au nom de quoi les artistes devraient échapper aux contraintes subies par les communs des mortels pour limiter les dégâts humains de la pandémie. Je ne vais pas postillonner sur un public au nom de mon besoin de m’exprimer en tant qu’artiste. Unpopular opinion, comme on dit sur Twitter…
Comment parviens-tu à jongler entre le dessin et la musique en sachant que tu es assez productif pour les deux.
C’est parfois assez chaud. Mais quand les muses se manifestent, ou quand le rédac-chef du Ravachol te rappelle que le bouclage approche, on ne négocie pas.
As-tu un mot pour conclure notre entretien ?
Brocoli. Non, Labrador.