J’ai mis longtemps à me mettre à la lecture. Adolescent, j’avais horreur de ça. Je me suis rattrapé depuis, et comme je suis vieux, j’ai amassé des centaines de livres. Ils sont partout. Pas la moindre surface de ma grotte qui ne soit pas envahie.
Je suis également un gique. Je gagne directement ou indirectement ma croûte par le biais de l’informatique depuis plus de deux décennies, et j’utilise les zibidules depuis leur sortie.
Toutefois, j’étais certain que jamais je n’abandonnerais le sensuel papier pour ces dalles de métal et de verre froides et aseptisées.
Un jour, pour m’en convaincre, je décidai d’essayer, plein de morgue et de mépris.
J’entamai donc la lecture du boursouflé 1Q84 de Murakami sur mon zipade 2. À ma grande surprise, l’expérience ne fut pas si désagréable que ça (sauf que je n’ai pas du tout aimé le livre, mais ce n’est pas le propos).
Alors je remis ça.
Plus tard, je fis l’acquisition d’un zipade mini, tout aussi dénué de velouté et d’odeur et d’épaisseur que son prédécesseur, mais bien plus léger et maniable.
Puis un incident, survenu pas plus tard qu’hier, m’incita à écrire ce billet (au passé simple en plus. Qu’est-ce que j’en chie !).
Alors que je me délectai du Petit traité de toutes vérités sur l’existence de Fred Vargas, je fus grossièrement interrompu. Voulant reprendre ma lecture, je saisis mon zipade mini, et y cherchai, en vain, mon bouquin.
Quelque chose ne tournait pas rond, et il me fallut quelques instants pour me souvenir que je ne lisais pas une version électronique du Petit traité, mais une version old-school, sur papier.
Un peu secoué, je poursuivis ma lecture, quand le jour finissant, je fus contrarié par l’absence de rétroéclairage. Je me levai pour allumer une lampe, puis me concentrai pendant la lecture pour orienter l’ouvrage, selon que je lisais la page de gauche ou de droite, afin de trouver un compromis acceptable entre ombre et lumière.
Je tombai par la suite sur un mot dont j’ignorais le sens. Je fus tenté un instant de le toucher pour faire apparaître sa définition, avant de me ressaisir.
Enfin, m’apercevant que la nuit était tombée, je dirigeai machinalement mon regard vers le sommet de la page pour y consulter l’heure, qui mystérieusement, n’y figurait pas.
Alors certes, le dos en métal glacial du zipade en hiver m’oblige parfois à enfiler des mitaines. Et peu de choses sont plus vexantes qu’un livre qui s’éteint au beau milieu d’une phrase lorsqu’il n’a plus de jus.
Mais force est de constater qu’une page dans ma longue vie de lecteur est tournée.