Si les mots ont un sens

Publié le Catégorisé dans Un peu de recul 9 commentaires sur Si les mots ont un sens

Je suis las, mais las des dialogues de sourds entre militants de tous bords qui s’écharpent joyeusement ou férocement sur des sujets auxquels ils n’accordent pas la même définition.

Prenons la novlangue du gouvernement (puisqu’il gouverne et que c’est son anniversaire, soyons sympa). Austérité ou « sérieux budgétaire » ? Privatisation ou « gestion fine du capital » ? Droite, gauche, groite, drauche, bolchéviques ?

Si l’on part des mots (qui donc, en théorie, ont un sens, je le rappelle), le gouvernement mène effectivement une politique d’austérité. C’est comme ça. Ouvre un dictionnaire si tu ne me crois pas. Ayrault peut raconter que l’austérité, c’est ce qui se passe chez nos voisins du sud et pas chez nous, mais c’est faux. Les mots ont un sens. À la rigueur (joke), je t’accorde que le processus n’est pas aussi « avancé » chez nous que chez nos voisins, mais c’est le même processus.

En matière économique, le gouvernement mène une politique libérale, de l’offre, donc traditionnellement de droite (désolé de faire le cuistre, mais socialisme de l’offre, c’est un oxymore), qui part du principe qu’en laissant davantage de coudées franches aux entreprises et en les laissant poursuivre leurs intérêts égoïstes, elles s’enrichiront, et cette richesse ruissellera vers le bas (je m’abstiens de tout commentaire sur le bien-fondé de cette notion, mais c’est dur).

Alors toi qui es de droite et fier de l’être et qui approuves (et qui votes) individuellement toutes les mesures du gouvernement, arrête les procès en bolchévisme ! Tu es ridicule. Assume !

Et toi le soutien du gouvernement, c’est ton droit le plus strict de le soutenir et de croire aux bienfaits à terme de son approche, mais alors s’il te plaît, par pitié, de grâce, toi aussi, assume ! ASSUME ! Sans quoi ne viens pas te plaindre quand le vilain Frédéric Lordon te traite de suppôt de la « droite complexée ». Tu es peut-être un être tolérant et ouvert et généreux et tout et tout, mais tu soutiens une politique libérale (si les mots ont un sens, hein, parce que sinon, je m’égosille pour rien).

Comme ça, on pourra s’écharper (joyeusement ou férocement) sur le fond, au lieu de s’écharper sur des malentendus.

En plus, je sais que tu es sensible aux mots, toi qui es si prompt à condamner les éructations verbales du vociférant Mélenchon. Je sais donc que tu ne peux qu’être sensible à mon plaidoyer : on ne doit jamais détourner ou vider les mots de leur sens. Un mot sans sens ne s’encense (c’est nul, mais je n’ai pas pu résister). C’est un crime contre notre bien commun le plus précieux, contre l’esprit, contre l’intelligence, contre la culture, contre les lumières et qui condamne tous les innocents chatons (et bébés suricates) des Internets à une mort lente et douloureuse.

9 commentaires

  1. Et moi je suis lasse, mais lasse, d’entendre que pour « les soutiens du gouvernement » (qui normalement devrait avoir plus de cerveau que 3 UMPistes réunis) « L’humain d’abord » soit un programme pire que « La France aux Français »
    Serait-ce ici le « murs des lassitudes » ? #hihi

  2. @ Aoulmi : 1, je ne parlais que d’économie et 2, le mot « libéral » est un peu piégé, je vous l’accorde. Disons, pour reprendre à nouveau les éléments de langage du gouvernement, « Politique de l’offre » : TSCG, Pigeons (x2), Gallois, Florange, réforme bancaire en peau de lapin, réforme fiscale à 2 balles, SMIC, TVA, budget de l’UE, ANI, Amnistie sociale…

  3. @ Aoulmi : Donc, la politique du gouvernement ne serait pas libérale. C’est une vaste question, difficile à démêler tant il y a de degrés, de définitions, d’écoles, etc. dans le libéralisme. Sknob ne parle que du pan économique. Nous nous en tiendrons donc là.
    Partant, il nous faut nous entendre sur la définition de « libéral ». On est forcé de choisir une définition simpliste au risque, sans cela, de partir dans des débats sans fin. Je résume donc le libéralisme en quelques aspects simples : croyance dans l’efficience des marchés pour le bon fonctionnement de l’économie (équilibre général), donc libéralisation des marchés – travail, capitaux, biens. Croyance dans les bienfaits du libre-échange. Croyance dans la nécessité de réduire le rôle de l’Etat à des missions ne pouvant être assurées par les marchés de manière efficiente (éducation, armée, police, etc.).
    Je suis conscient que la définition est grossière mais voyons tout de même ce que l’on peut en tirer.
    D’abord, il faut se mettre d’accord pour mettre de côté les mesures conjoncturelles et ne garder que les structurelles (celle qui restent et impactent réellement les rapports sociaux sur le moyen/long terme). Je sors donc de l’analyse les emplois d’avenir, la BPI (qui n’a quasiment aucun pouvoir), la taxe à 75% qui est temporaire, etc.
    Il reste donc de réellement structurant :
    – le TSCG : point fondateur car il constitue le cadre accepté qui implémentera, en partie automatiquement, les politiques libérales (ajustements structurels via privatisations, réductions des dépenses publiques, etc.).
    – le CICE qui se plie à l’injonction des marchés de baisser le coût du travail (je vous accorde que c’est libéral mais mal ficelé et que l’impact sur le coût du travail n’est pas même assuré),
    – l’ANI qui est purement et simplement une entreprise de libéralisation du marché du travail, une flexibilisation du droit du travail, partant du principe libéral que « faciliter le licenciement ou la modulation du temps/coût du travail permet d’amortir les chocs et de dynamiser le marché du travail quand l’activité repart ».
    – Un plan de réductions des dépenses publiques sans précédent, dans une période de récession. Ce qui signifie une action procyclique, qui refuse l’intervention contracyclique de l’Etat dans l’économie et nie donc son efficacité, tout en réduisant, ses capacités futures (la MAP qui remplace la RGPP).
    Désolé, j’appelle cela une politique libérale. Mais ça se discute…

  4. Attention, j’aime bien les débats ! 😉
    Un petit préambule : mon argument n’était pas de dire que le gouvernement PS menait une politique libérale pure et parfaite (ce qui n’a d’ailleurs jamais été le cas en dehors de régimes autoritaires). Mais bien de juger une orientation. Aggravée par l’acteur de cette politique. Oui, je juge plus sévèrement un parti qui se nomme « socialiste » qu’un parti qui se nommerait « libéral » ou même « progressiste ». La ligne est à juger en fonction de qui la met en œuvre.
    Ceci étant dit.
    1. Je vois que nous avons des points d’accord sur beaucoup de sujets. Notamment sur la contre-productivité d’une politique contracyclique et d’ajustements structurels.
    2. Je maintiens qu’on ne peut pas mettre sur le même niveau les mesures qui définissent le cadre et celles qui se jouent en son sein.
    3. Je prends donc juste les points de désaccord :
    – Vous parlez de mesures keynésiennes. Cela n’a, pour moi, aucun sens. Quand bien même elles le seraient, elles sont d’une insuffisance telle, en volume, qu’elles ne peuvent avoir aucun impact réel. Il faut les comparer aux dizaines de milliards des plans de rigueur. Si vous injectez 1 euros dans l’économie et que vous en enlevez 5 ou 6… cela ne va pas loin. Le propre du keynésianisme étant des politiques contracycliques, je ne vois pas où vous voyez ce bon John Maynard.
    – Sur l’ANI, je crois que vous vous méprenez. Le volet « pour » les salariés est à la fois insuffisant et malhonnête. Insuffisant car la plupart des mesures (le logement par exemple) se font à budget constant. Malhonnête, car beaucoup de ces mesures sont renvoyées à de futures négociations (droits rechargeables à l’assurance chômage par exemple).
    Puisque vous évoquez la taxation des CDD, parlons-en. D’une part, ses modalités sont renvoyée à la convention assurance chômage. D’autre part, elle ne concerne que des CDD de moins de 3 mois et pas l’intérim. Autant dire, qu’elle n’aura aucun impact.
    Mon avis est qu’il s’agit purement et simplement de leurres pour faire accepter la seconde partie du texte qui donne plus de « souplesse » aux entreprises, dont la possibilité de moduler temps de travail et rémunération…. Si c’est pas du libéralisme. Je vais devoir trouver une autre mot. Social-libéralisme ?
    4. Sur les politiques alternatives, il y aurait beaucoup à dire. Mais ici, ce n’est pas pratique.
    La question centrale, c’est l’acceptation du cadre. Je reprends à mon compte la définition schématique de la gauche de Lordon « sortir du cadre, le modifier » ou celle de Bourdieu « être contre l’ordre établi ». Si l’on accepte le cadre, on ne peut rien faire et on est forcé de mener des politiques libérales (oui, je maintiens).
    Donc, c’est bien l’enjeu de la gauche : agir sur les structures et non jouer leur jeu.

  5. Il est peut être trop tard pour dire que tout cela n’est pas libéral. Que le libéralisme est bien pire. Les disputes sur les termes sont un petit jeu (« vraie gauche », « fausse gauche », « soc lib » et maintenant « droite complexée »). J’accepte bien volontiers toutes les étiquettes (je le prends un peu pour moi, ton appel, j’ai le droit ?). Une fois qu’on aura réglé ces problèmes de vocabulaire, on pourra parler des mesures comme nous tentons de le faire.
    Tu me donnes l’idée d’un billet.
    Bonne nuit camarade. (expression qui ne signifie pas que je sois marxiste, même complexé ;-))

  6. huhu, c’est ce que j’ai dit chez moi : les militants socialistes n »ont qu’un truc à admettre : la ligne social-liberale (cf mon billet sur Fleur Pellerin, troll libéral souriant).
    Après la construction de l’alternative, c’est autre chose que de dire « je veux être premier ministre » sans préciser comment y arriver. C’est là que les choses se compliquent.

  7. Merci pour vos commentaires de haute tenue !
    Je voulais dénoncer la novlangue et la manière dont les prescripteurs (délibérément ou en plein déni de réalité) déforment le sens des mots pour les adapter à leurs préjugés. Ça me navre. C’est pour ça que j’apprécie tant l’approche de Jorion qui a une démarche inverse.
    Je suis sur la ligne @clumsy9 / Lordon : à l’intérieur « du cadre », les règles du jeu sont libérales / TINA. On peut les aménager à la marge, au mieux. Tant que le PS jouera à l’intérieur de ce cadre, le changement sera un vœu pieux.

  8. Merci pour l’article, tout ce qui peut nous aider à lutter contre la novlangue est bienvenu.
    C’est épatant à quel point les puissances de l’argent peuvent déformer nos perceptions du Monde et de la Justice en jouant sur les mots.
    En lisant 1989 en mon temps j’aurais jamais pensé qu’on en arrive à galvauder le vocabulaire à ce point. A presque tout les niveaux :/ (merci les publicitaires et communicants ?)

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