(Première publication sur sknob’s other posterous)
Tu as des convictions. Par définition, tu penses qu’elles sont fondées. Sur le bon sens, la raison, les faits.
Et pourtant, tu fais n’importe quoi.
Ou plus exactement, tu ne fais pas le quart du tiers de ce que tu pourrais faire.
Je m’explique.
Si tu es français, tu crois au grand soir. À la révolution. Et c’est aussi pour ça que je t’aime.
Malheureusement, les révolutions sont rares, et entre deux révolutions, la vie continue.
Tu te dis que ce que tu fais tout seul dans ton coin, ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, un grain de sable sur une plage, et que ça n’a donc aucun effet, que ça ne sert à rien.
C’est étrange.
Si tu es si sûr que tu as raison sur tel ou tel sujet, alors tu penses forcément que tout être rationnel partage ton point de vue.
Mais bizarrement, tu cantonnes ce raisonnement à la sphère des idées. Tu ne l’appliques pas à celle du réel. Or, selon la même logique, tu devrais penser que si tu agis rationnellement, tout autre être rationnel agirait de la même manière.
Mais non seulement tu ne le penses pas, tu fais le raisonnement inverse !
S’il y a des cons dans ton immeuble, disons qui sont des crétins xénophobes, (sachant que ce n’est pas toujours facile de s’ouvrir à des cultures différentes), est-ce que tu vas faire comme eux et insulter tes voisins étrangers ? Bien sûr que non. Tu n’es pas raciste !
Mais s’il y a des cons dans ton immeuble qui balancent des ordures dans le bac à recyclage, (sachant que c’est chiant de trier ses déchets), tu te dis que ça ne sert à rien de se faire chier, et tu fais comme les cons.
C’est incroyable !
Tu fais ton marché, et tu vois de belles asperges. Tu remarques qu’elles sont importées du Pérou. Dommage. T’achètes des asperges hors de prix produites localement, ou t’achètes des poireaux et des patates. Ben oui. C’est bon la soupe de poireaux-pommes de terre.
Tu es garé. Tu traines un peu. Tu coupes ton moteur ! Elle pue ta caisse, et elle fait du bruit. Tu ne veux pas réveiller les mômes ou l’asthme des voisins. Sois pas vache.
Les pratiques de Facebook te débectent. C’est Orwell à l’échelle planétaire. Tu es leur produit, leur marchandise et ça te révolte. Comment ça tu n’as pas fermé ton compte ? Mais pourquoi donc ? Tu n’avais aucun moyen de parler à tes proches avant l’avènement de Facebook ?
Tu es dégoûté par ce que tu vois à la télévision, par les priorités tordues du 20h, par le salaire indécent de la conne qui sévit au Grand Journal, par la morgue et le mépris de l’autre obsédé de la dette ? Mais tu fais comme les cons. Au lieu de zapper sur Arte pour regarder un reportage sur la reproduction des tortues ou de consulter tes tweets ou d’éteindre la télé pour lire un livre ou faire l’amour, tu regardes, comme un con.
Tu vas me dire que c’est pour analyser la fabrique de l’opinion, comprendre ce que subit et ce qui influence c’te pauvre Mme. Michu. Sauf que dans les statistiques de mesure d’audience, rien ne permet de te distinguer de Mme. Michu. C’te pauvre Mme. Michu, c’est toi.
Si tous les gens intelligents et rationnels comme toi zappaient, ça ferait baisser l’audimat. C’est mathématique. Ou alors c’est que tu es le seul être intelligent et rationnel au monde, ou pire, que tu n’es ni l’un, ni l’autre, et ça, j’ai du mal à le croire.
Un dernier exemple d’actualité. Tu sais que dans un monde rationnel, il faudrait voter pour X ou Y, mais le monde n’est pas rationnel, alors tu vas voter pour Truc pour barrer la route à Machin ou parce que Truc est le seul a pouvoir être élu ou toute autre prophétie autoréalisatrice de ton choix.
Sauf que si le monde n’est pas rationnel, c’est uniquement parce que tu ne l’es pas.
Mais ne te méprends pas. Je ne te parles pas de militer ou même d’agir pour de grandes idées (tu peux, mais ce n’est pas le sujet). Je te parles de tous les petits trucs que tu pourrais faire mais que tu ne fais pas dans ta vie de tous les jours.
Pourtant, être un peu plus rationnel dans ses agissements ne doit pas être un calvaire. C’est même agréable et grisant de faire ce qui est juste et bien au quotidien, à dose homéopathique peut-être, une fois sur deux même, mais de concert avec tous les autres êtres rationnels comme toi qui veulent constuire, petite touche par petite touche, une société moins bête et méchante.
En outre, en attendant la prochaine révolution, c’est la seule chose que tu puisses faire. C’est le seul espoir de faire bouger les lignes, de changer la vie, la tienne, celle de ton prochain ou au moins celle de tes mômes.
Tu noteras que ton état monarchique chéri ne peut pas le faire à ta place.
Et c’est drôlement plus fastoche que de faire une révolution (même si je te concède que c’est plus difficile que d’attendre une hypothétique révolution assis sur tes mains).
Si tu n’as pas le temps, trop de boulot, trop de galères, les enfants, les courses, le chien, le poisson rouge, très bien. Mais alors s’il te plaît, ne viens pas donner de leçons aux autres, ni couiner parce que la société poursuit sa course effrénée vers le ravin, parce que la société, c’est toi, et que tu sais très bien où sont le volant et la pédale de frein.