Appelés au chevet d’un patient qui se plaignait d’une vive douleur à l’orteil, le Professeur Groite et le Professeur Drauche se penchèrent avec zèle sur son cas, sous l’œil bienveillant et admiratif de leurs entourages respectifs.
Ils se chamaillèrent d’abord sur le diagnostic. Entorse ? Arthrose ? Choc contre un pied de la table basse du salon ? Maladie orpheline X ou Y ?
Ils se querellèrent ensuite à propos du remède adapté. Repos ? Exercice physique ? Régime ? Bain de pied ? Saignée ? Pansement ? Attèle ? Et pour la douleur, ibuprophène, paracétamol ou aspirine ?
Ils s’écharpèrent enfin sur les modalités de paiement. Était-ce au patient d’assumer seul le coût de la consultation et du traitement, ou la collectivité devait-elle prendre en charge tout ou partie des soins ? Et si oui, dans quelles proportions, sous quelle forme et à quelle échéance ?
On se passionnait pour cet affrontement viril, qui était doctement décortiqué en temps réel sur les réseaux sociaux, sur les blogs et dans les médias.
Seuls quelques marginaux semblaient étrangement insensibles à ce débat, leur manque criant de culture, de curiosité, de rigueur, de réalisme ou de maturité ne suscitant qu’opprobre et mépris.
Las ! Loin d’être indifférents, ces pestiférés ne souhaitaient qu’attirer l’attention sur un détail particulièrement vexant qui ne leur avait malheureusement pas échappé.
Et de fait, si nos valeureux duellistes, leurs défenseurs, commentateurs et autres exégètes, obnubilés par l’orteil et éblouis par leur propre esprit, avaient daigné lever le nez, ils se seraient peut-être aperçus que le corps tout entier du patient était consumé par les flammes.